Gaza : quinze Palestiniens tués lors du premier jour de la «Marche du retour»

Conformément à ses avertissements, l’armée israélienne a tiré à balles réelles sur des manifestants vendredi, à l’occasion d’un grand rassemblement le long de la frontière entre l’enclave palestinienne sous blocus et le sud d’Israël.

Si prévisible, la mécanique du pire s’est à nouveau enclenchée à Gaza. Vendredi, plus d’une dizaine de Palestiniens de l’enclave côtière ont péri sous le feu des snipers israéliens postés de l’autre côté de la frontière, à l’occasion du premier jour de la «Marche du retour», mobilisation de masse qui doit durer jusqu’à la mi-mai, de la «Journée de la terre» ce vendredi à celle de la «Nakba» (la «Catastrophe»), point d’orgue du mouvement au lendemain de l’anniversaire des 70 ans de la création de l’Etat hébreu.

En début de soirée, les tanks israéliens ont détruit trois postes de contrôle du Hamas, tuant deux de ses hommes, portant le morbide bilan de la journée à au moins quinze morts et 1400 blessés selon les chiffres communiqués par le ministère de la Santé de Gaza.

Après la traditionnelle prière de la mi-journée, environ 30 000 Gazaouis s’étaient rendus aux abords voire, pour certains, à l’intérieur de la «zone tampon», ces quelques centaines de mètres de no man’s land farouchement imposés par l’armée israélienne et théâtre régulier d’affrontements asymétriques le long de la clôture entre le territoire palestinien sous blocus et le sud d’Israël.

Consignes létales

Lancée à l’initiative de personnalités de la société civile après la reconnaissance de Jérusalem comme capitale israélienne par Donald Trump, puis récupérée par le Hamas, le mouvement islamiste qui contrôle l’enclave depuis une décennie, la «Marche du retour» entend remettre au cœur du débat le «droit au retour» des réfugiés palestiniens dans leurs terres d’avant 1948.

En amont de l’événement, l’état-major de Tsahal avait justifié les tirs à balles réelles pour réprimer le rassemblement, refusant de croire en la «non-violence» revendiquée des organisateurs et évoquant divers précédents d’enfouissements d’engins explosifs sous couvert de manifestations. Dès l’aube, un fermier a été tué par un obus tiré depuis un tank à la frontière, sous prétexte de «comportement suspect».

La journée s’est déroulée exactement comme chaque camp l’attendait, rejouant une tragédie sans fin connue de tous les acteurs. Côté palestinien, parmi les masses pacifiques rassemblées autour de cinq campements de tentes, des grappes de jeunes hommes sont venus lancer des pierres, des pneus brûlés et des cocktails Molotov en direction de la clôture. De l’autre, des drones ont largué des bombes lacrymogènes sur la foule et les soldats israéliens ont appliqué leurs consignes létales. Les Israéliens ont aussi largement publicisé l’envoi d’une fillette de 7 ans en direction de la barrière, épargnée par les tirs et ensuite rendue à sa famille, nourrissant ainsi les habituelles accusations d’instrumentalisation d’enfants par les activistes palestiniens. Dans ses comptes rendus, l’armée israélienne considère tous les participants sans exception comme des «émeutiers», suivant sa ligne de communication depuis le début de la semaine, après avoir déclaré la mobilisation «mouvement hostile».

«Chaque corps touchant le sol va motiver les Gazaouis»

Le bilan humain est très lourd. Il dépasse en un jour le nombre de Gazaouis tués durant tout le mois de protestations qui avait suivi la déclaration de Trump en décembre. Selon les médias locaux, les victimes avaient entre 18 et 34 ans, l’armée revendiquant avoir abattu parmi eux «une figure centrale de l’organisation du Hamas». Les hôpitaux gazaouis ont dénombré 758 blessés par balles, alors que Tsahal assure n’avoir visé que les «meneurs».

«La « Journée de la Terre » a toujours été une journée sanglante, note le politologue gazaoui Mkaimar Abusada. Dès ses origines : il s’agit d’honorer la mémoire des six Arabes israéliens tués dans les manifestations contre l’expropriation de terres en Galilée en 1976. Mais dans le contexte actuel, cette répression israélienne disproportionnée, si elle n’a absolument rien d’étonnant, c’est de l’huile sur le feu. Chaque corps touchant le sol va motiver les Gazaouis à participer aux prochaines manifestations. Le mouvement pourrait donc s’amplifier.»

Leadership palestinien

Pour le Hamas, c’est une victoire. Ses troupes, qui ont battu le rappel toute la semaine dans leur administration comme leurs mosquées, ont réussi à mobiliser une foule importante et la réaction israélienne ne fait qu’ajouter à la martyrologie chère au mouvement. Ismaïl Haniyeh, le leader de la branche politique du mouvement islamiste, s’en est réjoui et a déclaré que la marche sonnait «le retour des Palestiniens dans l’ensemble de la Palestine», soit la totalité du territoire précédant la création d’Israël. «Sans cela, il n’y a pas d’autre solution au conflit», a-t-il ajouté.

Pour Mkaimar Abusada, ce qui se joue, c’est aussi la question du leadership palestinien, face à un Mahmoud Abbas rejeté par 70% des habitants des Territoires selon un récent sondage, et un Hamas ostracisé par la communauté internationale. Le président de l’Autorité palestinienne tente depuis un an de reprendre le contrôle de la bande de Gaza en y imposant des sanctions drastiques, qui ont aggravé la crise humanitaire perpétuelle de l’enclave. «Le Fatah a soutenu timidement ce mouvement, remarque le chercheur. Car pour le Hamas, cette mobilisation est un moyen de changer la conversation autour de l’échec de la réconciliation avec le Fatah et des conditions de vie à Gaza, et de remettre le focus sur l’occupation israélienne comme source principale des souffrances palestiniennes. Avec, bien sûr, le Hamas à la pointe de la lutte et principal interlocuteur.»